octobre 2016
Le 17 octobre 2016, alors qu’il devait rejoindre Singapour pour une conférence, le dessinateur malaisien Zunar a été stoppé par l’immigration, à l’aéroport de Kuala Lumpur. L’agent en question avait eu pour instruction d’empêcher Zunar de voyager. Un autre agent de l’immigration a confirmé ces propos, et a indiqué que l’ordre venait directement de l’Inspecteur Général de la Police Tan Sri Khalid Abu Bakar. Cette interdiction avait pris effet le 24 juin 2016.
Zunar indique ainsi dans une déclaration – ci dessous – que l’Inspecteur Général de la Police et le Directeur de l’Immigration n’ont absolument pas le droit de l’arrêter, de contrôler ses allers et venues ou encore de l’empêcher de quitter le territoire. Seule une cour de justice en aurait la capacité, et dans un cadre légal très spécifique.
Le dessinateur fait en ce moment face à 9 chefs d’inculpation, sur la base de la loi relative à la Sédition, et risque 43 ans de prison pour avoir posté des tweets critiques à l’égard du gouvernement en février 2015, à la suite d’une décision de justice mettant derrière les barreaux un leader de l’opposition. Son procès a été repoussé plusieurs fois et devrait commencer le 22 novembre 2016 (mise à jour 01/02 : le procès de Zunar a de nouveau été repoussé).
Alors que son bureau a été fouillé et saisi par la police plusieurs fois, ses publications interdites, ses assistants et webmaster interrogés par les autorités et son site fermé, Zunar apparait comme une symbole de la lutte pour la liberté d’expression en Malaisie. Dans ses dessins, il a dénoncé à de multiples reprises la corruption qui sévit dans toutes les strates institutionnelles de son pays et notamment les hautes sphères étatiques. Zunar a été emprisonné à deux reprises et fait face à un lynchage gouvernemental depuis près d’une décennie. Il a reçu le Prix Cartooning for Peace l’an dernier à Genève, en mai.
« Ce qui se passe n’est qu’un élément de plus à ajouter à la longue liste d’actions mises en place pour m’empêcher de dessiner des caricatures critiques envers le gouvernement malaisien »
Zunar a ajouté qu’il remettrait en question la légalité de cette interdiction de voyager.
Genève (Suisse), le 18 Octobre 2016
1/ Nous sommes fiers de soutenir Zunar, dessinateur de presse malaisien courageux et reconnu, qui a reçu le Prix Cartooning for Peace à Genève le 3 mai 2016 à l’occasion de la journée de la liberté de la presse.
2/ En dessinant et commentant l’actualité avec talent, impertinence et humour, les dessinateurs de presse questionnent les frontières de la liberté d’expression et les repoussent. Zunar, comme tous les autres dessinateurs de presse menacés ou empêchés d’exercer leur métier, mérite le soutien de la communauté internationale.
3/ Nous demandons aux autorités malaisiennes de clarifier la situation de Zunar et de donner des explications publiques quant à l’interdiction de voyager qui a été mise en place contre lui et qui l’a empêché de sortir du pays le 17 Octobre 2016, alors qu’il devait se rendre à Singapour.
4/ Nous nous joignons aux organisations internationales de défense des droits de l’homme et appelons les autorités malaisiennes à lever l’interdiction de voyager imposée à Zunar avec effet immédiat, et ce afin de respecter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, signé par la Malaisie.
5/ Nous rendons hommage à Zunar et aux autres dessinateurs de presse pour leur courage et leurs dessins, réalisés dans des circonstances très difficiles dans plusieurs régions du monde.
« Aujourd’hui (17 octobre 2016 à 14h), en route pour une conférence à Singapour, j’ai été stoppé par un officier de l’immigration à l’aéroport international de Kuala Lumpur. Ce dernier m’a expliqué qu’instruction avait été donnée à la police de m’empêcher de voyager. Cherchant à en savoir plus, un autre agent de l’immigration, voulant rester anonyme, m’a confirmé que l’ordre venait directement de l’Inspecteur Général de la Police (IGP) lui même, Tan Sri Khalid Abu Bakar, et qu’il prenait effet depuis le 24 juin 2016. L’IGP et le Directeur de l’Immigration n’ont pas le droit de m’arrêter, de contrôler mes allers et venues ou de m’empêcher de quitter le territoire. Seule une cour de justice en a la capacité, et dans un cadre légal très spécifique. Même si je suis inculpé de 9 chefs, sous la loi relative à la Sédition, je n’ai pas encore été condamné étant donné que mon procès ne commencera que le 22 novembre cette année. Cette situation démontre un clair abus de pouvoir et une violation des droits de l’homme. L’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques indique clairement que toute personne est libre de quitter un pays, le sien y compris. Il est aussi écrit dans ce Pacte que les droits mentionnés ne peuvent faire l’objet d’aucune forme de restriction, exceptées celles imposées par la loi, celles relatives à la sécurité nationale, à l’ordre public, à la santé publique, aux droits et libertés des autres, et en adéquation avec les droits évoqués dans le présent Pacte.
Ce qui se passe n’est qu’un élément de plus à ajouter à la longue liste d’actions mises en place pour m’empêcher de dessiner des caricatures critiques envers le gouvernement malaisien. L’an dernier le gouvernement a cherché à me nuire avec 9 chefs d’inculpation, sous la loi relative à la Sédition, et la possibilité de 43 ans de prison – si je suis reconnu coupable. Avant cela, j’ai été mis derrière les barreaux deux fois – la première le 24 septembre 2010 pendant deux jours et la seconde en février 2015 pour trois jours. Cinq de mes livres de dessins ont été interdits et mon bureau à Kuala Lumpur a été saisi et fouillé plusieurs fois par la police, qui a confisqué des centaines de mes dessins.
Les imprimeurs et librairies dans tous les pays qui pouvaient vendre mes livres ont aussi été fouillés par les autorités, et mis en garde de ne plus imprimer ou vendre mes recueils sous peine de voir leur licence révoquée. En octobre 2014, trois de mes assistants ont été arrêtés pour avoir vendu mes livres. Mon webmaster, qui s’occupe de mon site et ma libraire en ligne, a été interrogé par la police.
Je vais remettre en question la légalité de cette interdiction de voyager. Le talent n’est pas un don, c’est une responsabilité.
Ils peuvent interdire mes livres, ils peuvent interdire mes dessins, ils peuvent m’interdire de voyager, mais ils ne m’interdiront pas de penser. Je continueras de dessiner jusqu’à ma dernière goutte d’encre. »
Zunar
septembre 2015
Le dessinateur malaisien Zulkiflee SM Anwar Ulhaque alias Zunar a été interpellé le 11 février 2015 par la police après un dessin posté sur le réseau social Twitter. Son tweet critiquait la confirmation, la veille, d’une peine de 5 ans de prison contre l’ancien vice-Premier ministre Anwar Ibrahim, accusé de sodomie. Il critique l’absence de justice et le caractère politique de la condamnation, derrière laquelle se cache l’actuel Premier Ministre Najib Razak (déguisé en juge).
Le dessinateur Zunar doit répondre de 9 charges d’accusation pour des tweets critiquant le système judiciaire (qu’il juge partial, au service du Premier Ministre Najib Razak). S’il est condamné il risque jusqu’à 43 ans de prison. Son procès a été reporté au mois de septembre 2015.
Une pétition a été lancée en juillet 2015 notamment par le président de Cartoonist Rights Network International (CRNI) et Amnesty International. Elle interpelle le Premier Ministre et lui demande, outre d’abandonner les charges contre Zunar, d’abolir le « Sedition Act » (datant de l’époque de la colonisation) qui porte atteinte à la liberté d’expression en permettant des poursuites aisées contre les journalistes et dessinateurs car il interdit tout discours considéré comme « séditieux ».
Le 21 septembre 2015, Zunar était invité au colloque « Le dessin de presse dans tous ses Etats », à Paris, par Cartooning for Peace.
Mise à jour 2017 : Après avoir été repoussé plusieurs fois, le procès de Zunar est de nouveau reporté à une date ultérieure.
Vidéo de l’AFP ici.