22 Janvier 2021
Polémique en ligne, excuses publiques et démission : La collaboration entre le dessinateur et le journal Le Monde prend fin
Actuellement en discussion avec Le Monde pour prendre la relève de son emblématique dessinateur Plantu, dont le départ à la retraite après plus de 50 ans de service a été officialisé cette semaine, Cartooning for Peace apprenait cette semaine la triste fin de la collaboration entre le journal avec lequel elle collabore de longue date et le dessinateur ami de l’association Xavier Gorce.
Le 19 janvier 2021, Le Monde publiait le dessin de l’auteur de la série illustrée « Les indégivrables » dans la newsletter matinale du journal. Le dessin fait référence à un débat de société sur l’inceste consécutif à la parution du livre « La Familia grande », dans lequel la juriste Camille Kouchner accuse son beau-père, Olivier Duhamel d’avoir agressé sexuellement son jumeau lorsqu’il était adolescent à la fin des années 80.
Xavier Gorce (France)
La publication du dessin suscite de nombreuses réactions de la part des lecteurs et sur les réseaux sociaux, nombre d’entre eux accusant Gorce de transphobie et de banalisation des faits d’inceste. Face aux réactions, la directrice de la rédaction du journal Le Monde, Caroline Monnod, s’est excusée de la publication qu’elle présente comme une erreur auprès des lectrices et lecteurs qui auraient pu être choqués.
Le lendemain, le dessinateur publiait une explication de son dessin sur sa page Facebook. Répondant à des entretiens pour d’autres quotidiens, il s’étonnait de la décision du journal et s’inquiétait du poids que faisait peser la morale et les réseaux sociaux sur les médias. Après avoir réalisé son dernier dessin pour le journal le même jour, le dessinateur annonçait presque dans la foulée « cesser de travailler pour le Monde ». Une décision à laquelle le journal répondait à son tour par une mise au point prenant acte de cette décision. S’en sont suivis plusieurs articles de presse et entretiens au sujet de la polémique.
S’accordant, comme le font les deux protagonistes de l’affaire, sur le fait qu’il n’est ici aucunement question de censure (le dessin étant toujours visible sur le site du journal), Cartooning for Peace regrette la conséquence de cette énième polémique née de réactions virulentes à la publication d’un dessin, qui provoque en seulement 48h la fin d’une collaboration de 20 ans entre un dessinateur et un journal. La situation démontre une fois de plus la pression grandissante que font peser les polémiques en ligne sur les dessinateurs de presse et les médias qui les publient.
Et alors qu’ironiquement, les réactions prouvent à nouveau le rôle primordial de ce mode d’expression, miroir des débats de société contemporains, l’association se désole que la polémique autour de la nature du dessin, de l’intention présumée et des décisions respectives de l’auteur et du journal prennent le pas sur le débat fondamental dont traite le dessin.
Faisant de l’analyse du dessin de presse un pilier de sa méthode pédagogique visant à lutter contre les incompréhensions et les intolérances, Cartooning for Peace regrette que le journal et le dessinateur n’aient été en mesure de répondre à la controverse de manière conjointe, en proposant une explication et une mise en perspective du dessin qui auraient permis d’enrichir et de recentrer le débat sur la question qu’il traite, d’autant plus que le dessin est toujours en ligne.
Le dessin de presse est un médium d’information, de sensibilisation et d’interpellation riche, devenu trop souvent l’otage d’une polarisation des opinions et ses auteur(e)s sujets à une importante pression de la part de l’opinion publique, particulièrement en ligne. Face à ce phénomène grandissant, Cartooning for Peace prône la pédagogie et continuera de contribuer à la promotion et à la défense de la discipline. Elle continuera surtout d’accompagner lecteurs, partenaires et dessinateurs en favorisant l’apprentissage de la lecture du dessin.
Et heureuse de l’opportunité qui lui est donnée de prendre la suite de Plantu à la Une du journal Le Monde, elle continuera humblement à favoriser la pluralité des points de vue des membres de son réseau sur l’actualité.
