Cartooning for Peace / Alerte Tunisie – Un décret-loi qui menace la liberté d’expression

Alerte Tunisie – Un décret-loi qui menace la liberté d’expression

Alors que le pays est en proie à une situation économique et sociale désastreuse, la publication du décret-loi n° 2022-54 relatif à la « lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication » ce 16 septembre inquiète.

 

Sous-section 3 – Des rumeurs et fausses nouvelles

Art. 24 – Est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de cinquante mille dinars quiconque utilise sciemment des systèmes et réseaux d’information et de communication en vue de produire, répandre, diffuser, ou envoyer, ou rédiger de fausses nouvelles, de fausses données, des rumeurs, des documents faux ou falsifiés ou faussement attribués à autrui dans le but de porter atteinte aux droits d’autrui ou porter préjudice à la sureté publique ou à la défense nationale ou de semer la terreur parmi la population.

Est passible des mêmes peines encourues au premier alinéa toute personne qui procède à l’utilisation de systèmes d’information en vue de publier ou de diffuser des nouvelles ou des documents faux ou falsifiés ou des informations contenant des données à caractère personnel, ou attribution de données infondées visant à diffamer les autres, de porter atteinte à leur réputation, de leur nuire financièrement ou moralement, d’inciter à des agressions contre eux ou d’inciter au discours de haine.

Les peines prévues sont portées au double si la personne visée est un agent public ou assimilé.


Le texte ainsi énoncé suscite l’inquiétude des organisations de défense de la liberté de la presse qui y voient « un texte liberticide » dont elles demandent le retrait. Parmi les éléments qui inquiètent, celle de la définition même de la « rumeur » ou de la « fausse nouvelle », absente du texte alors que les sanctions, démesurées, sont pour leur part énoncées. Selon Reporters Sans Frontières, cette absence « laisse une latitude d’interprétation absolue aux services de sécurité et au parquet permettant de criminaliser le travail d’information et de remettre en cause le droit à la protection de sources et nombre d’engagements internationaux de l’État tunisien » et permettra de poursuivre quiconque commettra une infraction contre des parties ou des intérêts tunisiens.

 

Cartoooning for Peace, qui compte parmi ses membres, ses collaborateurs et collaboratrices de nombreux dessinateurs et dessinatrices tunisiens, exprime également son inquiétude face à la future application du texte dans un contexte national de répression croissante de la presse. Considérant la lutte contre la désinformation et les fausses nouvelles essentielle, elle rappelle que l’expérience a montré que l’ambiguïté et l’application excessive de textes visant à lutter contre la rumeur et les fausses nouvelles a conduit à la condamnation de nombreux dessinateurs de presse qui exprimaient un avis critique sur la gestion des affaires publiques. Comme le recommande l’universitaire Larbi Chouikha citée par Le Monde, la lutte contre les fausses informations et rumeurs doit passer par « des mécanismes de régulation, pas la répression ».

 

Dessin de Willis from Tunis (Tunisie)